jeudi 7 février 2013

Rodenbach


De miroir en miroir, l'ombre de la mort....



Citizen Kane d'Orson Welles





Aux heures de soir morne où l’on voudrait mourir,
Où l’on se sent le cœur trop seul, l’âme trop lasse,
Quel rafraîchissement de se voir dans la glace !
Eau calme du miroir impossible à tarir ;
On y s’oublie ; on y dérive ; on y recule…
Oh ! s’en aller dans le miroir réfrigérant
Périr un peu comme en une eau de crépuscule,
Une eau stagnante, une eau sans but et sans courant
Où le visage nu sombre à la même place.
On se poursuit soi-même, on se cherche, on se perd
Dans le recul, dans la profondeur de la glace ;
On s’y découvre encor, mais comme recouvert
D’une eau vaste et sans fin, à peine transparente,
Qui fait que l’on se voit, mais pâle et tout changé :
Visage qu’on aura malade ou très âgé,
Visage tout simplifié qui s’apparente,
Silencieux, avec celui qu’on aura mort…
Le soir de plus en plus en submerge l’image
Et l’enfonce comme une lune qui surnage,
Et l’affaiblit comme les sons mourants d’un cor.
Visage en fuite et que toute l’ombre macule,
Visage qui déjà se semble avoir fini
D’aller jusqu’à l’enlizement dans l’infini.
Ô ce jeu du miroir où soi-même on s’annule !


Extrait du Soir dans les vitres, Rodenbach

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