mardi 19 février 2013

Extrait d’un acte de colloque sur Reverdy./Besson



L'ombre du miroir...




Extrait d’un acte de colloque sur Reverdy.

Sylvie Besson.


Le Montreur d'Ombres d'Artur Robison (Merci à Florian Poinot pour cette image!)


L’ombre  du miroir chez Reverdy ou la structure orphique des œuvres
 par Sylvie Besson.


      L’ombre orphique de Reverdy n’est pas que ténèbres, cette ombre peut exalter l’Invisible et garantir une présence lumineuse au monde. En ce sens l’ombre que génère le miroir est métaphore d’une protection, et il est alors plus facile pour le poète d’identifier son reflet que son ombre. Il s’agit de connaître la valeur de toute chose créée par ces jeux du miroir, lesquels permettent de regarder la lumière en face.
   Lumière et ombre miroitantes ne sont donc pas les symboles d’une vérité surnaturelle, mais toujours et encore les manifestations d’une appréhension d’un monde à restituer. Le caractère intensément dramatique traduit l’inquiétude d’un regard sur l’énigme du réel. Il faut pour le poète scruter ses ombres et les ombres des miroirs pour y trouver une possible forme. Seule la lutte entre ces opposés -miroir et son envers plus obscur- suscite la beauté du monde, le vers est ainsi le champ d’une rencontre, mais il est aussi l’agent d’un dépassement. Reverdy s’enchante seulement des jeux de miroirs lorsqu’il peut percevoir autre chose que lui-même, une ombre au-delà de lui, comme la brume d’une silhouette, la fluidité vaporeuse d’un décor, la naissance d’un univers sensible. L’ombre du poète, comme envers du miroir, rend visible un monde qui serait totalement noyé par la clarté. Sans l’ombre, la moitié du monde resterait invisible alors que le poète cherche à révéler ce non-visible par l’acuité de sa sensibilité à voir le réel autrement que par ce qu’il affiche. Cette perception correspond à la forme poétique qui ombre le plein jour de la langue quotidienne. Il ne faut surtout pas se laisser tromper par les images miroitantes du monde  reverdien qui sont autant de leurres puisque l’étendue infinie de l’univers est à explorer. L’ombre abolit la sécurité qu’a l’homme des choses perçues, le mystère demeure certes dans des endroits obscurs, mais l’effort que fait le poète pour plonger dans l’ombre des miroirs, le tire d’un sommeil profond : celui de l’aveuglement au réel. Saisir directement un objet ou une image borne cet objet ou cette image en une seule et même chose. Seuls les vers, se répandant comme de l’encre hors du poète,  appartiennent au monde des ombres, éclairant à la fois la vérité du monde et l’acte créateur :


Il y a là une ombre qui tremble
Le soir est à la vitre et baigne la maison
Je suis seul
Portrait de femme de Campion
Et le temps d’attendre
A noué l’heure et la saison

Plus rien ne me sépare à présent de la vie
Je ne veux plus dormir
Le rêve est sans valeur
Je ne veux plus savoir ce qui se passe
Ni savoir si je pense
Ni savoir qui je suis
(La Cloche Cœur)

   La musicalité des vers voisine avec des images inédites, comme si la traversée des apparences donnait lieu à de vigoureuses créations, le regard est essentiel à la recomposition d’un visible assez insignifiant : images confuses, emmêlées, bouts de verre ombrés, vacuité des sensations, étrangetés du réel. En effet, le regard à l’abri de la lumière prête vie à des éléments flamboyants et atemporels, comme une inflexion sonore et visuelle sur fond de silence. La fragmentation du réel se construit sur des synesthésies susceptibles de dissiper tout malentendu poétique. Il existe grâce à ces jeux de clair-obscur une substance, une chair du langage que l’on peut manipuler pour qu’elle advienne autre chose. L’univers est moins déréalisé que rendu à sa propre hallucination, creuset d’une apothéose en devenir. Toutes les images associées au jeu d’’ombres   sont dans un rapport de déplacement, mais la largeur du spectre chromatique de Reverdy confirme l’idée d’un langage-matière qui s’oppose au réel pré-fabriqué, l’ombre est un moyen sensible et suffisamment visible pour exprimer le monde obscur que le poète porte en lui comme celui qu’il redécouvre à l’extérieur de lui-même. Bien que ventilées dans le champ du poème, les images enténébrées, ombre et lumière à la fois, confèrent une unité organique aux choses, assurant l’adéquation d’une structure entre signifiant et signifié, unité préfigurant, sans doute, une modernité poétique. Comme une force explosive, le réel adopte une nouvelle attitude poétique, impliquant un refus de tout univers figé et pétrifiant. Le poète se voit en train de voir, ce réel remonte jusqu’à lui comme une mémoire en déshérence, en effet, il est question de monter toujours plus loin, pour se perdre dans la lumière, et retrouver, s’il se peut, une part de la beauté sacrée des origines et du silence :

Le soir couchant ferme une porte
Nous sommes au bord du chemin
Dans l’ombre
Près du ruisseau où tout se tient
Si c’est encore une lumière
La ligne part à l’infini
L’eau monte comme une poussière
Le silence ferme la nuit
(Sur le talus)


   Tout ce qui est vécu, paraît ici l’unique moyen d’oublier l’enfermement du monde en transfigurant le terrible ennui de la terre en une rencontre spirituelle. Le poète désire vivre ce monde qui l’a exclu, dans des résonances obscures et infinies,  il trouve une résolution dans le dépouillement, dans des figures de l’absence et de la mort qui sont le passage nécessaire au dévoilement de l’Invisible. Ne peut-on pas y lire les désignations métaphoriques de l’espace littéraire, comme les jalons d’une scène d’écriture où se joue le drame ontologique ? Le poète répond à son interrogation sur le réel, en un néant sonore et référentiel, l’épreuve lexicale permet de franchir l’infranchissable et de découvrir l’alchimie du monde. L’obscurité procure une ouverture sur l’infini. Il faut une transposition du positif en négatif, une forme poétique renouvelée, il s'agit de donner une dimension nouvelle, comparable à une fascination pour l’Inconnu alors que le Poète dit le monde en lui-même : 
    

On ne m’a rien donné
Tout est dépensé
Un pan de décor qui s’écroule
Dans la nuit

 ( la Lucarne ovale )



    Reverdy rejoint Bachelard qui montre que le poète, loin de prendre ses distances avec la réalité, l’ausculte grâce à l’ombre dans ses structures profondes. S’il existe un invisible qui rend la nuit habitable, l’inspiration appartient à cette nuit du marcheur. Il faut explorer un lieu où la mort et l’oubli ont leur place, et l’ombre toujours fuit et toujours précède :

La porte qui ne s’ouvre pas
La main qui passe
Au loin un verre qui se casse
La lampe fume
Les étincelles qui s’allument
Le ciel est plus noir
Sur les toits
Quelques animaux
Sans leur ombre
Un regard
Une tache sombre
La maison où l’on n’entre pas
(Nomade)



    Ce qui se révèle ne se livre pas forcément à la vue, mais se réfugie dans une invisibilité qui est une autre manière de se laisser voir, la révélation d’un tout disparu. L’ombre poétique est bien le substitut du reflet, c’est ce qui de l’objet, n’est pas susceptible de se donner en pleine lumière. L’objet meurt au visible tandis que l’ombre le fait resurgir dans une autre dimension : 

Les numéros qui sont dans ma tête commencent à tourner
Et l’allée s’allonge
L’ombre du mur d’en face s’allonge
Jusqu’au plafond
On entend venir quelqu’un qui ne se montre pas
On entend parler
On entend rire et on entend pleurer
Une ombre passe
Les mots qu’on dit derrière le volet sont une menace.
 (La Lucarne ovale )

     En cela, l’ombre reverdienne se livre dans son incomplétude, par cette lumière zébrée, frémissante, mouvante dont elle ravive la blessure. La descente des œuvres, dans leur structure spéculaire, prend sens dans cette perception orphique de l’ombre qui rappelle un réel oublié mais d’où résulte une possible renaissance.

Charulata de S Ray.

Sylvie Besson

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