mercredi 8 mai 2013

Sébastien Brébel




                                La maison, 

miroir labyrinthique tendu à nos  

fantasmes !





Rebecca d'Hitchcock





Nous voyons une maison et nous savons immédiatement quel type d’existence est possible dans cette maison. […] Dans les plus brefs délais, nous savons si nous pourrons habiter cette maison ou si nous devons au contraire renoncer à vivre dans cette maison. Le caractère habitable ou non de la maison est immédiatement connu de tous. Tout ce que nous allons expérimenter, tout ce que nous allons penser et tout ce que nous allons ressentir, nous pouvons le regarder comme si nous l’avions déjà vécu. En moins d’une minute, nous pouvons imaginer notre existence future dans cette maison, nous pouvons percevoir cette existence comme si elle était déjà accomplie et révolue. […] Nous imaginons nos vies possibles dans des maisons inconnues, et à la fin ces existences s’entassent les unes sur les autres quelque part au fond de nous.

Sébastien Brébel, Villa Bunker





Rebecca d'Hitchcock



Et la nuit venue, lorsqu’il était sur le point de s’endormir, de nouvelles portes s’ouvraient dans son cerveau, il arpentait les étages mentalement, visitait les chambres l’une après l’autre, dans une succession morne et prévisible, passant en revue ses souvenirs comme s’il battait un jeu de cartes de façon mécanique, inconsciente, récapitulant l’ordre et la grandeur de chaque pièce, et il continuait à parcourir la villa dans ses rêves, comme perdu dans un décor de théâtre .

Sébastien Brebel, Villa Bunker
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Note sur *La Villa Bunker*.

Avec Villa Bunker, c’est tout autre chose, à contre-courant de cette tendance récente, que nous propose Sébastien Brebel, jeune romancier vivant à Nantes où il enseigne la philosophie. Le titre l’indique d’emblée, il y est question d’enfermement plutôt que de grand large. Certes « villa » fait penser d’abord à villégiature, mais, en l’occurrence, il serait plus pertinent de parler, pour cette grande bâtisse de bord de mer où se retirent les parents du narrateur, d’une « ex-prison », tant la villa en question paraît revêche et mal habitable, transformant peu à peu ses deux occupants en « prisonniers d’une architecture maudite ». Propice au huis clos, l’endroit paraît idéal pour que s’y noue une intrigue puisant dans la névrose familiale. Et le roman semble bien pouvoir emprunter cette piste. Le père, en proie à quelque chose comme une folie Wittgenstein, se retire au dernier étage d’une tour d’angle, où il s’acharne à un « travail de réflexion et de clarification », dont il attend qu’il lui découvre « tôt ou tard la mathématique de la villa idéale ». La mère, enfermée, elle, dans le salon de réception, s’abandonne à la pulsion graphomane qui la conduit à inonder son fils de lettres. Et la névrose maternelle d’épancher sa rancœur (« depuis ton plus jeune âge tu as manifesté ta détestation de toute musique, tu t’es révolté contre la musique que je jouais et contre la musique que j’écoutais »), de récriminer contre la « folie Foucault » du fils (qui est aussi le narrateur). Elle lui reproche d’avoir tout sacrifié à une thèse sur l’auteur de l’Histoire de la folie à l’âge classique, thèse définitivement au point mort. L’enfant, qui déjà se cloîtrait dans sa chambre pour recopier la Seconde Préface de la Critique de la raison pure ou les quarante premières pages de la Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing, est ainsi devenu « un raté ou une sorte de monstre », « tout cela par la faute d’un philosophe mort du sida ». Et le ton acariâtre de la mère n’est alors pas loin de faire songer à celui que Thomas Bernhard prête à ses personnages, avec le même effet jubilatoire pour le lecteur (« est-ce que la philosophie mène là, alors je dis que la philosophie est une maladie mortelle et plus redoutable que toutes les maladies »). ………..Dans l’espace clos d’une villa qui a tout d’un château labyrinthique, ce n’est pas la prise de possession d’un espace familial qui en effet advient (« l’emménagement » n’aura jamais lieu). Bien plutôt, l’auteur s’attache à traquer tous les indices d’une lente « déterritorialisation » qui voit le lieu se détraquer, se creuser d’inquiétants trous noirs. Au point que la réalité finit par devenir indiscernable du rêve (ou plutôt du cauchemar) et les personnages eux-mêmes par osciller entre existence et non-existence, vie réelle et vie fantomatique. Car si la villa s’avère inhabitable, ce n’est pas seulement en raison de son architecture étrange, c’est aussi, au bout du compte, parce qu’elle est hantée par un passé énigmatique et habitée par un fantôme….


Villa Bunker n’est pas un livre qui fait voir du pays, c’est un livre qui creuse...... 

Jean-Claude Pinson

Actualité : Sortie de *La Baie Vitrée* (mai 2013)
http://www.youtube.com/watch?v=jKYfu_E4fCA&feature=player_embedded#t=0s

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