lundi 4 novembre 2013

Gabriel Arnou-Laujeac, Plus loin qu'ailleurs (+ article)

Plus loin que le déluge, la vie.....



La Jetée de Chris Marker

   
   L’immensité qui m’appelle, c’est l’océan qu’elle m’accorde, tout entier, en un enlacement. Et j’ai pour elle le même océan dans les bras. Que puis-je, sinon suivre l’onde occulte qui m’emporte loin des étouffoirs terrestres, nos corps siamois pour seule attache ? 


Gabriel Arnou-Laujeac, Plus loin qu'ailleurs


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A lire, si ce n'est déjà fait, puis à relire...



  1. Extrait lu de "Plus loin qu'ailleurs" de Gabriel Arnou-Laujeac ...

    www.youtube.com/watch?v=cyBU435PEoc
    30 juin 2013 - Ajouté par Résonance[S]
    Extrait lu de Plus loin qu'ailleurs de Gabriel Arnou-Laujeac, (Editions du Cygne, juillet 2013) par Véronique ...
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    1. critique de Sylvie Besson


      Plus loin qu'ailleurs de Gabriel Arnou-Laujeac
      Préface de Maram Al-Masri, éditions du Cygne, juillet 2013


      © Sylvie Besson
        
      L’œuvre de Gabriel Arnou-Laujeac est autant marquée du sceau de l’intime que du désir de creuser et d’évider le monde par une main ferme et agile tant celle-ci est illumination, quand le poète y délivre le souffle calciné et brûlant de sa peau à force d’empoigner un buisson ardent, cette main est aussi intense en cela qu’elle ouvre sa paume jusqu’au sang, jusqu’à la chair blessée, jusqu’à l’épuisement de l’encre et à « l’écho du silence », qu’elle s’affranchit de l’étroitesse des espaces et ne s’interdit pas de partager autant ses lignes brisées que la luminosité retrouvée. Dès les premières pages, l’écriture s’impose à la matière sensible de notre être comme une ouverture sur l’insaisissable, la parole, elle, affirmant la nécessité absolue d’être à l’écoute du monde : « Où que se tournait mon visage, je ne voyais qu’un monde aux temples d’ombres et l’ombre de l’absence recouvrant chaque atome de l’univers… » (p 11). Récit-poème ou poème symphonique, les mots de Gabriel Arnou-Laujeac existent à la fois hors des sentiers battus, dans le décloisonnement du temps et le désenclavement de l’espace; la langue n’est pas circonscrite, elle est le lieu de rencontre du passé et du présent, du passé et du futur, devenus contemporains dans l’objet-langue qui est toujours tendu entre l’ancien et l’à-venir, ente l’être et son non-être, les mots libérés peuvent alors se saisir des symboles tandis que le Verbe, au gré d’un souffle pieux ou vigoureux, chasse tour à tour les terreurs, redresse l’âme affaissée, change en somme la nuit en aube : «Je blanchis la nuit chaque jour que dieu fait, j’allume l’or du temps au feu d’extases foudroyantes et, par la grâce des beautés aux brûlures éphémères, j’embrase tout l’univers dans un éclair d’éternité » (p 29). A une présence impénétrable, à « cette ombre de lumière » passante et cependant puissante, correspond – dans et après la chute – l’expérience d’une plénitude de cette même présence, et celle-ci suffit à créer une Géométrie sans fin, une conscience de la finitude des choses infinies au sein desquelles une voix doit absolument résonner, « comme la voix de quelqu’un qui appelle un égaré dans la nuit et, par sa seule inflexion, lui désigne son chemin » (Jaccottet , A la lumière d’hiver)  
        Mais il s’agit aussi pour le poète de faire valoir l’alchimie de la grâce, ce « quelque chose » qui dispense encore sa douceur, qui remet poésie et amour à leur place afin qu’une onde transparaisse dans le plus silencieux de l’être, et explose dans l’intensité du discours. Ce poète qui fréquente depuis toujours théologies et mystiques, sait bien que la parole vivante ou vivifiante est co-nnaissance de l’Absolu ; ainsi sa poésie ne s’effraie ni de la pensée ni de la présence à soi-même, permettant à l’œuvre de devenir ce sortilège qui loin de se fermer sur soi-même, peut s’ouvrir sur autre chose que soi puisque le sujet fait chemin vers l’ascèse, vers une version définitive de son être ramenant toute chose de l’Invisible, portant cette énergie tirée du noir et du silence vers cette lumière aurorale à laquelle les mots touchent paradoxalement comme une mémoire de ce qui a toujours été et que l’on ne peut retrouver qu’au cœur de la méditation : « j’habite désormais la nuit comme un refuge, une cabane au creux de l’âme, un espace de grâce et de retraite ». (p 37)
        Tout ramène, en effet, au grand jadis, à la source, au sentiment océanique, à l’avant-monde, à l’outre-langage. On aimerait citer tel ou tel morceau, mais cela ne rendrait pas justice à l’éclat que dégage l’ensemble d’une partition qui résonne comme un hymne à l’amour, seul véritable guide au milieu d’un syncrétisme passionnant, un amour cherchant à héler jusque dans le silence une voix qui précède – une voix toujours signifiante. Le souffle poétique de Gabriel Arnou-Laujeac est comme celui des musiciens qui invoque une voix toujours plus sensible plus originelle, plus organique – une voix qui précède la mue et qui les a décidés à la musique instrumentale ou à la composition de la musique : « J’invoque la splendeur de ses spectacles qui nous avalent dans une solitude où rien ne manque, où rien n’est exclu, et qui sont l’écho, le souvenir en nous ressuscité d’une plénitude à faire renaître (…) J’invoque la musique des sphères gravée sur le disque d’or aux sillons infinis.. » (p 49)

      En conséquence, la parole du poète semble précéder la voix fulgurante de l’amour que l’écriture a permise en un silence chanté comme le signe d’une appartenance à un monde autre, une ombre sur les yeux ouverts pour celui qui en ignore la proximité ou la profondeur, un monde donc « qui s’élève à contre-nuit, pour que sonne et résonne la promesse du retour », (p 51). Voilà pourquoi Arnou-Laujeac, méditatif et énergique, sculpte un titre de contrées invisibles afin que sa main puisse rencontrer un visage universel cherchant à dire la transparence des nuits, il lui faut alors lâcher prise, libérer la main de soi-même, la mettre à nu jusqu’à l’os afin que seul le Verbe devienne halluciné et que l’écriture parvienne à se servir des mots comme de persiennes violemment secouées pour dispenser un étrange clair-obscur, un espace pour disparaître et demeurer pourtant, une extase qui permette à la fois de marcher sur la beauté et de faire entendre  « le sceau du ciel qui est un Souffle, un Souffle indomptable, un Souffle qui traverse, purifie et ressuscite tout ce qu’il enlace au gré de sa danse insaisissable » (p 50). Ainsi la quête d’unité, le questionnement et la fulgurance d’un Amour encore mystérieux fouissent dans les mots, trouvent dans les métaphores un mystère en écho, une flamme existe dans ce souffle, un feu frais prend d’assaut la terre et le bleu confondus du Ciel. Seul cet horizon sans fin offre au poète la jouissance de traverser sa propre langue, sa propre réalité comme un paysage rêvé, où l’indicible glisse autant dans le tracé d’une initiation qu’au plus profond de l’Etre, « au creux des âmes apatrides qui savent n’être point d’ici, ni d’ailleurs, et encore moins de maintenant ». (p 51)
      L’écriture ample et saillante suit en effet, de bout en bout, un chemin diffusant la même exacte clarté malgré le passage des ombres, la voix roule les lettres pour dire les mystères d’une âme qui s’élance vers un monde que l’on aimerait habiter dans son entièreté, dans ses contradictions, ses possibles et ses impossibles puisque les images nous parviennent comme les premières images de la lanterne magique, celle d’une éternelle naissance. Le regard ouvert sur les chants d’ombres fissure l’imposture et laisse filtrer un esprit qui ne tremble plus d’affronter la nuit noire et d’y faire naître une étincelle de vérité : « Je dois renaître de ce battement imperturbable, maintenant. Regagner le temps perdu à chercher ce qui n’est plus, ce qui n’est pas. Me lever, me reconstruire dans le vide et dans l’urgence d’un désespoir libératoire : dans la reddition de mes illusions sur l’autre, sur moi, sur l’éternité ». (pp 25 /26). L’image ne peut donc plus se dissocier de l’expérience incandescente, c’est une pensée du témoignage que nous offre ce cheminement poétique, un «  lieu sans adresse où l’on chavire de l’ombre à la lumière les yeux clos, dans l’anéantissement de tous les réels apparents », (p 41), une véritable épiphanie, une révélation vibrant d’un humanisme lucide et poignant, une pensée qui se passionne pour un langage aussi foisonnant qu’authentique sans lequel il n’y aurait de véritable sagesse. Voilà pourquoi, cette ascension vers la présence du dehors de soi s’apparente à un dédoublement, une espèce de « non-lieu » au cœur duquel le poète se voit en reflet dans l’autre comme si la lumière du dedans et du dehors se répondaient l’une à l’autre. Il voit l’autre dans ce monde, l’autre en dehors du monde, et soi ainsi autre, dans ce monde autrement réel « Tout étant ici un ailleurs », le poète désormais « … ne cherche rien, rien de connu, rien de terrestre. Des corps célestes, des étoiles filantes, des souffles migratoires qui traversent la nuit sans laisser de traces. [Il] ne cherche rien ». (p 29)
      En somme, l’appel de cet Absolu prend vie dans le recommencement, ainsi un à un chaque geste du jour s’entend comme une mélodie pour finir en une véritable symphonie au cœur de laquelle grandit le regard et s’étend le mystère ; et l’on vibre aux sonorités ce cette main d’encre, de cette langue poignante, de ce regard d’où s’étend le sacré, de tout ce corps en métaphores éblouissantes qui résonne comme un instant possible de vérité. La poésie, chez Gabriel Arnou-Laujeac, convoque sensuellement et charnellement un corps sauvage, animal et glorieux, un corps de perception extraordinaire, en quoi il se distingue justement, tant mieux pour lui, de toutes les souffrances, de toutes les mélancolies, de tous les désespoirs, de toutes les visions noires, de tristesses, de dolorisme, il y a dans ce corps quelque chose d’indéfinissable, qui le distingue aussi de la seule quête du bonheur pour tendre vers un sens liturgique très aigu, quelque chose qui a la puissance d’un nouvel évangile, quelque chose où le langage change complètement de dimension, il y a en fait une éloquence mystique, un chant incantatoire, une apothéose musicale qui font de Plus loin qu’ailleurs une œuvre singulière et sans aucun doute unique. Aussi, l’esprit tendre et passionné du poète se concentre sur l’expressivité des sentiments et la musicalité du langage tentant, encore et toujours, de se parler à lui-même à travers la musique plutôt que de séduire un public aux attentes préconçues.
        On admirera ainsi dans nombre de ces pages l’écriture enthousiaste d’un écrivain libéré de toute convention, qui joint à un souffle indomptable, l’expression lyrique d’un Croyant en possession de sens. Dès lors le chant se mêle à la force du destin et de l’exil, à l’interrogation toujours renaissante d’une prose suspendue au-dessus du vide et de ses topoï, une langue associée malgré elle à la certitude plus contingente de savoir que le monde est le monde tel qu’il est et que jamais il ne sera comme on le désire, mais qu’il est toujours possible d’en effleurer les contours pour une fraction d’Amour vrai : « Ce qui demeure, c’est l’amour réinventé par-delà l’étouffoir du temps, la prison de l’espace, et les sept premiers ciels dont elle m’offre le huitième ». (p 41)
        Mais laissons là les observations pour revenir à l’esthétique du texte, pour ne retenir que la partition, l’écoute lyrique, l’exigence formelle, un Poème donc créé dans la fluidité lyrique  et la jouissance des images. Il est ainsi aisé de se laisser transporter dans ce corps céleste, il est aussi envoûtant de perdre consciemment notre chemin pour cause d’ivresse et il est enfin inconcevable de ne pas voir que, dans l’instant de lecture, le monde de Gabriel Arnou-Laujeac soit de toute beauté.
      SB
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