vendredi 29 novembre 2013

Pavese


La Mer, l'Amer......

 La mer est encore sombre, les étoiles vacillent
 quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine
 s’élève de la rive, où la mer a son lit,
 et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant
 où rien ne peut arriver. La pipe elle-même pend
 entre les dents, éteinte. L’eau murmure tranquille, nocturne.
 L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages
 et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera
 elle aussi comme le feu, flamboyante. 

Il n’est chose plus amère que l’aube d’un jour
 où rien n’arrivera. Il n’est chose plus amère
 que l’inutilité. Lasse dans le ciel, pend
 une étoile verdâtre que l’aube a surprise.
 Elle voit la mer sombre et la tache du feu



Le Mépris de Godard.


et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ;
 elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs
 où est un lit de neige. L’heure qui passe lente
 est sans pitié pour ceux qui n’attendent plus rien. 

Est-ce la peine que le soleil surgisse de la mer
 et que commence la longue journée ? Demain
 reviendront l’aube tiède, la lumière diaphane,
 et ce sera comme hier, jamais rien n’arrivera.
 L’homme seul ne voudrait que dormir.
 Quand la dernière étoile s’est éteinte dans le ciel,
 lentement l’homme bourre sa pipe et l’allume. 

Pavese, L'étoile du matin

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Pour une traduction superbe......in english !!!!!



TRADUCTION JOHN TAYLOR




samedi 23 novembre 2013

Dorion/ Article Besson


La Fluidité des lieux.....


Hélène Dorion, Ravir : les lieux 

par Sylvie Besson



LE RAVISSEMENT PERPÉTUEL ! 


  Présence charnelle des lieux, la parole d’Hélène Dorion s’ordonne autour d’eux : elle construit sa lumière dans l’opposition entre la clarté saisie et la mate obscurité, entre le monde comme évènement et son déroulement comme image poétique. Ce jeu entre l’ombre et la lumière est celui du poète et de son regard, dans une relation où la blancheur des choses exposées vibre de tous les dangers, tandis que se tisse autour de tels instants la toile la plus complexe, sensuelle et insaisissable des sentiments, celle de l’être et du néant. Tout porte dans sa matière les traces d’une beauté fragile et en laisse naturellement ressortir la charge tragique ; autour des atermoiements des corps, la succession légère du ravissement des lieux compose un hors-champ douloureux et sombre qui répond aux instants de lumière. Ainsi la concrétion onirique des déplacements impose un rythme singulier, une sorte de nostalgie lourde et paisible ; le poète occupe le monde en habillant les contours des ombres, miroirs, fenêtres et visages à la guise de ses mots, les constituant physiquement autant que sensiblement dans une traversée à rebours des apparences. 



Sopro de Marcos Pimentel

  

 Sur fond de ravissement, les fulgurances imposent une aura soudaine et déconcertante. Hélène Dorion décline ici le principe de l’apparition comme une mise en lumière ontologique ; les lézardes d’une ville, les vacillements de l’obscurité, le roulement des eaux, l’intrusion d’un visage, le passage d’une voix, la permanence d’un éclat prennent la forme du poème, « [ce] lieu qui n’est aucun lieu / mais qui les porte tous. » C’est ainsi que la voix poétique accomplit un jaillissement inattendu dans le cours des jours et du monde, dans la fluidité de l’être et de ses sensations : 


« Le vent. ― Et tu chutes 
 dans le paysage :
  l’onde silencieuse 
 enserre tes pas, tes mains. 

 Au moins le jour brûlé 
 bascule. Le ciel se rompt  
avec les oiseaux  
venus à ta rencontre. »


La lumière est différente, émanation nouvelle, mais qui ne vient pas d’ailleurs ; l’horizon quotidien se rompt grâce aux forces des lieux soumis au jour énigmatique, fugace, déliquescent. Après tout, c’est une histoire d’effroi, d’émerveillement et de création, une histoire de mots comprise comme illumination, et le mystère de l’apparition est en fait celui de faire apparaître les lieux dans leur rareté : 


« l’eau qui fuit. 
 Mais qui regarde encore :
 le ciel mince 
 touche la tête 
 ravit les lieux ».


Comment alors se contenter des ombres incertaines quand on a pu voir surgir la brûlure de l’exposition au monde ? Saisir le trouble au grand jour, c’est construire par fait de langue un regard ravi, rien n’allant de soi ni dedans, ni dehors, et cette variation, cet éblouissement, ce changeant, c’est ce que regarde avec soin Hélène Dorion ; le titre ponctué de son œuvre s’érige d’ailleurs dans cette dualité, signe double, espace double, une espace avant, une espace après : 


« Émerveillée, je regarde 
 par la serrure du monde 
 j’ouvre les yeux, j’ouvre la main
  comme si j’avais été invitée 
 à cueillir les roses de mon propre jardin. » 


Poésie rivée à l’infime comme à l’universel, à ce qui semble fixe mais qui ne cesse de bouger, le poète fait remuer le réel, son texte, éclairé, palpite d’ombres à chaque page :« On n’a rien vu venir, et tout / soudain arrive. Derrière ce qui s’effondre / reste des ombres que des ombres ». La réalité tremble, les lieux se meuvent, le poète s’obstine à vivre, écrire, en se déplaçant dans le rythme du tremblement.


En somme, la poésie d’Hélène Dorion repousse l’immobilisme qui cache et dissimule, sa poésie ne s’interrompt jamais de chercher, poésie des questions qui se refuse à asséner, poésie qui n’exige pas de réponses, poésie du regard, poésie ouverte, car de lieu en lieu, de loin en loin, un mot s’élève, une bordée de mots ; une lumière éblouit plus puissante que le jour, un bruit monte plus saisissant que le murmure, un appel s’élève plus déchirant que la parole, jusqu’à ce Cri des profondeurs qui « secoue les draps de l’âme ».



 Texte Sylvie Besson (paru dans TdF)



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NOTE d’AP : première Québécoise à avoir reçu, en 2005, le Prix de l’Académie Mallarmé, Hélène Dorion a aussi reçu, en 2006, le Prix du Gouverneur général du Canada pour son recueil Ravir : les lieux. Hélène Dorion vient aussi d’être nominée pour le Prix du Gouverneur général pour son vingtième recueil : Cœurs, comme livres d’amour, publié aux Éditions de l’Hexagone (Montréal) en avril 2012.


jeudi 21 novembre 2013

Woolf

Les eaux troublantes de Woolf.....

Mais, si l’on s’asseyait au milieu des joncs pour regarder l’étang -les étangs exercent une curieuse fascination, on ne sait laquelle- , les lettres noires et rouges, le papier blanc semblaient une simple pellicule sous laquelle roulait une vie aquatique profonde, tel un esprit qui songe et médite. Bien des gens avaient dû y venir au fil de leur vie, au fil des âges, laisser tomber une pensée dans l’eau, lui poser une question, comme on le faisait soi-même en ce soir d’été. Peut-être était-ce le secret de cette fascination : il retenait dans ses eaux toutes sortes de rêves, de plaintes, de confidences, non pas imprimées ou dites à voix haute mais à l’état liquide, flottant les unes sur les autres, presque désincarnées. Un poisson les traversait, se faisait couper en deux par la lame d’une roseau ; la lune les annihilait de sa grande assiette blanche. Le charme venait de ce que, les gens partis, leurs pensées étaient restées et, sans leurs coprs, entraient vagabonder le temps qui leur plaisait, libres liantes et amicales dans l’étang commun."
La fascination de l’étang,Virginia Woolf 

Top of the Lake de Jane Campion


  Je sombre sur les noirs plumets du sommeil ; ses ailes touffues pèsent sur mes yeux. Voyageant à travers l'obscurité je vois les plates-bandes étirées, et Mrs. Constable qui surgit derrière l'herbe de la pampa et accourt pour m'annoncer que ma tante est venue me chercher en voiture. Je m'élève ; je m'échappe ; avec mes bottines à ressorts je passe par-dessus la cime des arbres. Mais voilà que je tombe dans la voiture devant la porte d'entrée, où elle est assise dodelinant ses aigrettes jaunes, les yeux durs comme des billes de verre. Oh, m'éveiller de mon rêve ! Regardez, voici la commode. Il faut que je me sorte de ces eaux. Mais elles s'amassent sur moi ; elles me ballottent entre leurs dos énormes ; je suis retournée ; je suis renversée ; je suis étirée, parmi ces longues lumières, ces longues vagues, ces sentiers sans fin, où des gens me poursuivent, me poursuivent.

Les Vagues de Woolf


Juillet a été couleur de vent et d'orage. Aussi, au milieu du mois, il y a eu, cadavérique, terrifiante, cette flaque grise dans la cour, alors que, une enveloppe à la main, je portais un message. Je suis arrivée à la flaque. Je n'ai pas pu la franchir. J'ai perdu mon identité. Nous ne sommes rien, ai-je dit, et je suis tombée. J'ai été balayée comme une plume. J'ai été emportée par un souffle dans des tunnels. Puis avec précaution, j'ai posé le pied. J'ai mis la main contre un mur de brique. Je suis revenue à moi avec beaucoup de peine, j'ai réintégré mon corps au-dessus de la flaque grise et cadavérique. Voici donc la vie à laquelle je suis destinée.

Les Vagues de Woolf


Stomboli de Rossellini



Je vous suis très reconnaissant à vous les hommes en toges noires, et à vous, les morts, de nous avoir guidés, de nous avoir protégés ; et pourtant, le problème demeure. Les différences ne sont pas encore résolues. Les fleurs hochent la tête devant la fenêtre. Je vois des oiseaux sauvages, et des pulsions plus sauvages que les oiseaux les plus sauvages surgissent de mon cœur sauvage. J'ai le regard sauvage ; les lèvres fortement serrées. L'oiseau vole ; la fleur danse ; mais j'entends toujours le fracas sourd et lugubre des vagues ; et la bête enchaînée piaffe sur la plage. Elle piaffe et piaffe.

Woolf, Les Vagues


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Lecture conseillée....
  1. V. Woolf, Mrs Dalloway - Fabula

    www.fabula.org/actualites/v-woolf-mrs-dalloway_57731.php
    26 juin 2013 - Mrs Dalloway Virginia Woolf Nicolas Boileau, Juliana Lopoukhine, Simone David (Traducteur) DATE DE PARUTION : 14/06/13 EDITEUR ...


lundi 18 novembre 2013

Rognet+article Besson



Et l'eau nous emporte !


La feuille morte
lèche l’eau, te
voilà embarqué,

tu entends ton passé
se briser sous ta peau,
tu frémis, tu as
mal, tu te tais,


Carmel d'Amos Gitai




tu regardes la feuille
s’en aller avec toi — tu
n’as pas appris
l’écriture de l’eau,

la cascade t’en veut,
tu n’as pas existé.


Richard Rognet
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Article Sylvie Besson.

« Si tu me demandes où / Est la vie promise, / Dans les méandres / Des saisons, un peu / D’ombre sera la réponse »


Faire l’expérience du noir, saisir le moment où la nuit pénètre le jour, percevoir une ombre comme s’il s’agissait d’une lueur, tel est l’univers de Richard Rognet dont la voix tente d’émerger d’une Nuit profonde, dont la parole chante autant l’obscur qu’elle est chant de l’obscur ; et lorsque la Lumière laisse ses ombres envahir la page, on le suit dans l’Ombre et on ne sait plus où l’on est. Peu importe que ce soit sur terre ou ailleurs, l’intérêt sera alors de se frayer un chemin dans cette obscurité, car cette nuit est aussi celle du travail de création en train de se faire. Quelque chose cherche à apparaître dans le doute et la fragilité, dont rien ne garantit l’épanouissement, l’œuvre posant à la fois la question fondamentale de la création et, en double fond, celle du non-retour, d’un présent obscurci par la composition du monde, personne ne pouvant précipiter son avènement ou son retour : « tu sais que venu / de la nuit, tu / reviendras en elle ». D’un côté, le combat avec sa propre voix, ses dérobades, la tentation du découragement, de l’autre, celui avec un réel insaisissable, marqué par l’imprécation, le cri, un tragique toujours latent. Ainsi se croisent des univers si proches, le cheminement du poète et l’errance de l’homme, un tutoiement peuplé d’ombres, dialogue entre le dedans et le dehors, entre l’intime et le cosmique :


Tu prends des notes
le matin, pour mieux
regarder, mieux entendre,

tu griffonnes, tu
gribouilles, comme
si tu raturais les
bavures de ton lever, […]

mais ce matin, tu le sens
dans ton corps, c’est pour
bien t’appuyer sur la vie.


De tous côtés les souvenirs douloureux surgissent, et notamment l’incapacité à en signifier la vérité, à en retrouver l’évidente beauté. Deux voix se répondent comme pour s’effacer et découvrir un autre seuil à franchir au-delà de l’insatisfaction et de l’inachèvement. L’écriture, éminemment lyrique, d’une incroyable lucidité, exprime de manière bouleversante les sentiments qui nous pénètrent de part en part ; le verbe sert une pensée forte et structurée, traversée par la précarité de la vie ; le chant prend tout son sens dès que le poète se trouve dans ce temps qu’il interroge, entre silence et mélancolie, dans une poésie qui désigne l’évanescent, questionne l’éphémère, incarnés par l'illusion du jour naissant et de tous les commencements frauduleux. La parole éperdue du Poète est ainsi jetée au vent et à un ciel assombri comme une brûlure à la face du monde :


ce noir absolu qui
t’emporte, plus loin
que les lointains, où
tout se prépare en ce
qui disparait


La poésie de Rognet est certes habitée par un double noir d’où émanent quelques énigmes sur l’être, mais le langage recrée des énigmes, l’aporie se referme lourdement sur l’espérance. Être poète de l’ombre, c’est donc être dans l’instable, c’est être dans la préhistoire de soi afin d’échapper à l’histoire d’une naissance qui compose l’être, puis dépasser également les mots habituels et avoir confiance en ce qui fuit l’homme. La démarche poétique retrouve l’immémorial silence, marque de la poésie la plus achevée, aux frontières mêmes du rien. :


La nuit — la nuit
glaciale, paisible,
et tellement d’étoiles,
là-bas, au fin fond


du temps, au fond de
mes yeux où s’écrasent
tant de lueurs ignorées —
c’est le noir entre
elles qui m’attire […]

le noir, comme les
trous de ma mémoire plus
ancienne et libre que moi.


La lumière poétique, terreuse et transparente à la fois, cherche à précipiter loin, et l’écriture donne des coups de butoir au bord du gouffre, insistant sur le tragique d’un temps qui passe irrémédiablement et celui d’un espace incertain. Le poème s’érige en élégie, une longue méditation dans laquelle la nature est plus reposoir qu’incantation, prétexte davantage à retrouver un visage familier, une origine somme toute nostalgique :


...et la rouille de l’automne
entêté ! ça claque au
vent
ça se brouille !
ça grelotte ! ça proteste !


Où sont donc nos
anciennes cachettes,
si chaleureuses, si
discrètes ?


On croit encore que c’est une ombre mais à cette ombre s’attachent un corps, des pierres, des feuilles, des cris, une chaleur, comme un rien qui insiste, qui cherche et qui perce un mystère. Et ce corps ombrageux entre dans le regard, en un instant on est lui. Rognet nous fait ainsi sauter par-dessus la clôture : on court, on lève les bras pour porter un ciel moins lourd, les yeux se ferment et on voit ; ça danse, ça gesticule, ça vit comme une gerbe de couleurs, un rire en grelots d’enfance. Rognet tente alors de remonter les lunaisons, de raviver les parole éteintes, mais l’âge avançant (« l’âge, cette / mort à contre-jour »), les allées s’encombrent de cadavres et la mémoire devient un terrifiant sanctuaire à sauvegarder, un effeuillement d’ombres plus saisissantes les unes que les autres :


nous entrerons dans
la nuit sans rien dire,
sans murmurer, nous
laisserons nos souvenirs
se pencher sur nous.


Entre défloration des signes et chant occulte de l’être, la flamboyance noire d’images dévoile ce qui blesse et déchire, il faut in fine célébrer des mondes perdus qui ne reviennent que dans le sillage des pensées les plus sombres, les plus sauvages, donnant à nous reconnaître au fil d’images effrayantes, mais ô combien révélatrices !

On dirait que le silence 
qui vient de naitre
incise les ombres
pour retrouver la vie.


Dépouillement, mais non décharnement, la poésie de Richard Rognet possède une vigueur liée à sa force musicale, le poète cultive la répétition, la forme se fait obsessionnelle dans son intensité, sa hauteur d’exigence se réalise dans l’obsession de la matière, d’une matière noire de la parole qui finit, à force de fulgurances et de persévérance, par trouver sa voie. Au parcours obscur et magnifique de ce poète, rien n’indique le chemin, un peu d’ombre seulement, à moins que ce ne soit la présence de « ce rien » qui finisse par flamber au-dessus du silence : « Il faut arracher / à nos paroles / le nom lumineux / d’un monde prochain ».


Sylvie Besson 
D.R. Texte Sylvie Besson
pour Terres de femmes



Michaux



La mer pour nous engloutir....



Pensées.
Le fils préféré de N Garcia

Penser, vivre, mer peu distincte ;
 Moi — ça — tremble,
 Infini incessamment qui tressaille.

Ombres de mondes infimes,
 ombres d’ombres,
 cendres d’ailes.

Pensées à la nage merveilleuse,
 qui glissez en nous, entre nous, loin de nous,
 loin de nous éclairer, loin de rien pénétrer ;

étrangères en nos maisons,
 toujours à colporter,
 poussières pour nous distraire et nous éparpiller la vie.

Henri Michaux, Lointain intérieur

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Une excellente étude de......
  1. Henri Michaux : une vie de Plume - Jean-Michel Maulpoix & Cie

    www.maulpoix.net/Plume.html
    Lectures critiques de l'oeuvre d'Henri Michaux. ... prose | Cours et séminaires · Le Nouveau Recueil | De l'époque... | Informations | Rechercher | Liens | E.mail | ...


    ET une approche tout en finesse de Céline


    anagnoste.blogspot.com
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vendredi 15 novembre 2013

Manyach


Suivre le fleuve et se libérer......


Rejeté dans la lumière
parmi les algues bleues des origines

projeté à l’intérieur
d’un courant lancinant qui vrille le sang

jusqu’à l’os étoilé
éclaté par les chants du mouvement

brûlé par la lance vertige
qui frappe à la porte de l’être

retrouvé dans le champ magnétique
avec l’ombre plantée au cœur de l’univers :

sombrer dans l’éblouissement
tout au fond de l’infini du torrent…

s’avancer jusqu’au vide
où ruisselle la vague de la conscience

libérer l’espace
et creuser le silence les limites remontant jusqu’à la source



Nostalghia de Tarkovski


franchir les aveux du corps
traverser la marée montante

dériver dans la verse et les limbes…

puis s’enraciner de l’autre coté
émonder les signes afin que se cabre l’indicible

prendre chair dans le matin
et dévoiler l’horizon de toute pensée

jusqu’au fleuve où se rassemblent vivants et morts
afin que surgisse un nouveau monde

Aux fêtes de la Parole

Didier Manyach, Bulletin Atmosphérique, Mai (1)

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Rappel.......

  1. NOUVEAU : DIDIER MANYACH / BULLETINS ATMOSPHERIQUES

    www.tarot-palestrina.com/index.php?...28%3Adidier-manyach-bulletins-...
    tarot-palestrina.com / leserpentvert.com · TAROT PALESTRINA · image_en_couverture NOUVEAU : DIDIER MANYACH / BULLETINS ATMOSPHERIQUES ...


samedi 9 novembre 2013

Tristan Cabral,



L'amer nous guide.....


Je suis né d’une erreur du vent et de la mer
 c’est pourquoi j’ai vécu au rythme des marées
 entre les hommes et dieu je n’ai pas pu choisir
 poisson-lune égaré sur un trottoir vitreux
 je n’ai fait que passer sans pouvoir respirer

un enfant replié s’est pris dans ma mémoire
 qui m’empêche d’atteindre au pays d’où je viens
 quand trouverai-je enfin de quoi crever mes yeux
 sur le plancher glissant d’une barque fantôme

si je viens à mourir qu’on me jette à la mer
 dans l’aube bleue des sables je trouverai ma route
 j’arriverai enfin à cette grande fête
 où mon corps fait surface à l’intérieur du sel


Finis Terrae d'Epstein

Tristan Cabral, Poèmes 
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A découvrir aussi....
  1. Juliette ou le chemin des immortelles, Tristan Cabral

    www.lacauselitteraire.fr › Livres
    23 avr. 2013 - Juliette ou le chemin des immortelles, Tristan Cabral, Michel Host

lundi 4 novembre 2013

Gabriel Arnou-Laujeac, Plus loin qu'ailleurs (+ article)

Plus loin que le déluge, la vie.....



La Jetée de Chris Marker

   
   L’immensité qui m’appelle, c’est l’océan qu’elle m’accorde, tout entier, en un enlacement. Et j’ai pour elle le même océan dans les bras. Que puis-je, sinon suivre l’onde occulte qui m’emporte loin des étouffoirs terrestres, nos corps siamois pour seule attache ? 


Gabriel Arnou-Laujeac, Plus loin qu'ailleurs


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A lire, si ce n'est déjà fait, puis à relire...



  1. Extrait lu de "Plus loin qu'ailleurs" de Gabriel Arnou-Laujeac ...

    www.youtube.com/watch?v=cyBU435PEoc
    30 juin 2013 - Ajouté par Résonance[S]
    Extrait lu de Plus loin qu'ailleurs de Gabriel Arnou-Laujeac, (Editions du Cygne, juillet 2013) par Véronique ...
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    1. critique de Sylvie Besson


      Plus loin qu'ailleurs de Gabriel Arnou-Laujeac
      Préface de Maram Al-Masri, éditions du Cygne, juillet 2013


      © Sylvie Besson
        
      L’œuvre de Gabriel Arnou-Laujeac est autant marquée du sceau de l’intime que du désir de creuser et d’évider le monde par une main ferme et agile tant celle-ci est illumination, quand le poète y délivre le souffle calciné et brûlant de sa peau à force d’empoigner un buisson ardent, cette main est aussi intense en cela qu’elle ouvre sa paume jusqu’au sang, jusqu’à la chair blessée, jusqu’à l’épuisement de l’encre et à « l’écho du silence », qu’elle s’affranchit de l’étroitesse des espaces et ne s’interdit pas de partager autant ses lignes brisées que la luminosité retrouvée. Dès les premières pages, l’écriture s’impose à la matière sensible de notre être comme une ouverture sur l’insaisissable, la parole, elle, affirmant la nécessité absolue d’être à l’écoute du monde : « Où que se tournait mon visage, je ne voyais qu’un monde aux temples d’ombres et l’ombre de l’absence recouvrant chaque atome de l’univers… » (p 11). Récit-poème ou poème symphonique, les mots de Gabriel Arnou-Laujeac existent à la fois hors des sentiers battus, dans le décloisonnement du temps et le désenclavement de l’espace; la langue n’est pas circonscrite, elle est le lieu de rencontre du passé et du présent, du passé et du futur, devenus contemporains dans l’objet-langue qui est toujours tendu entre l’ancien et l’à-venir, ente l’être et son non-être, les mots libérés peuvent alors se saisir des symboles tandis que le Verbe, au gré d’un souffle pieux ou vigoureux, chasse tour à tour les terreurs, redresse l’âme affaissée, change en somme la nuit en aube : «Je blanchis la nuit chaque jour que dieu fait, j’allume l’or du temps au feu d’extases foudroyantes et, par la grâce des beautés aux brûlures éphémères, j’embrase tout l’univers dans un éclair d’éternité » (p 29). A une présence impénétrable, à « cette ombre de lumière » passante et cependant puissante, correspond – dans et après la chute – l’expérience d’une plénitude de cette même présence, et celle-ci suffit à créer une Géométrie sans fin, une conscience de la finitude des choses infinies au sein desquelles une voix doit absolument résonner, « comme la voix de quelqu’un qui appelle un égaré dans la nuit et, par sa seule inflexion, lui désigne son chemin » (Jaccottet , A la lumière d’hiver)  
        Mais il s’agit aussi pour le poète de faire valoir l’alchimie de la grâce, ce « quelque chose » qui dispense encore sa douceur, qui remet poésie et amour à leur place afin qu’une onde transparaisse dans le plus silencieux de l’être, et explose dans l’intensité du discours. Ce poète qui fréquente depuis toujours théologies et mystiques, sait bien que la parole vivante ou vivifiante est co-nnaissance de l’Absolu ; ainsi sa poésie ne s’effraie ni de la pensée ni de la présence à soi-même, permettant à l’œuvre de devenir ce sortilège qui loin de se fermer sur soi-même, peut s’ouvrir sur autre chose que soi puisque le sujet fait chemin vers l’ascèse, vers une version définitive de son être ramenant toute chose de l’Invisible, portant cette énergie tirée du noir et du silence vers cette lumière aurorale à laquelle les mots touchent paradoxalement comme une mémoire de ce qui a toujours été et que l’on ne peut retrouver qu’au cœur de la méditation : « j’habite désormais la nuit comme un refuge, une cabane au creux de l’âme, un espace de grâce et de retraite ». (p 37)
        Tout ramène, en effet, au grand jadis, à la source, au sentiment océanique, à l’avant-monde, à l’outre-langage. On aimerait citer tel ou tel morceau, mais cela ne rendrait pas justice à l’éclat que dégage l’ensemble d’une partition qui résonne comme un hymne à l’amour, seul véritable guide au milieu d’un syncrétisme passionnant, un amour cherchant à héler jusque dans le silence une voix qui précède – une voix toujours signifiante. Le souffle poétique de Gabriel Arnou-Laujeac est comme celui des musiciens qui invoque une voix toujours plus sensible plus originelle, plus organique – une voix qui précède la mue et qui les a décidés à la musique instrumentale ou à la composition de la musique : « J’invoque la splendeur de ses spectacles qui nous avalent dans une solitude où rien ne manque, où rien n’est exclu, et qui sont l’écho, le souvenir en nous ressuscité d’une plénitude à faire renaître (…) J’invoque la musique des sphères gravée sur le disque d’or aux sillons infinis.. » (p 49)

      En conséquence, la parole du poète semble précéder la voix fulgurante de l’amour que l’écriture a permise en un silence chanté comme le signe d’une appartenance à un monde autre, une ombre sur les yeux ouverts pour celui qui en ignore la proximité ou la profondeur, un monde donc « qui s’élève à contre-nuit, pour que sonne et résonne la promesse du retour », (p 51). Voilà pourquoi Arnou-Laujeac, méditatif et énergique, sculpte un titre de contrées invisibles afin que sa main puisse rencontrer un visage universel cherchant à dire la transparence des nuits, il lui faut alors lâcher prise, libérer la main de soi-même, la mettre à nu jusqu’à l’os afin que seul le Verbe devienne halluciné et que l’écriture parvienne à se servir des mots comme de persiennes violemment secouées pour dispenser un étrange clair-obscur, un espace pour disparaître et demeurer pourtant, une extase qui permette à la fois de marcher sur la beauté et de faire entendre  « le sceau du ciel qui est un Souffle, un Souffle indomptable, un Souffle qui traverse, purifie et ressuscite tout ce qu’il enlace au gré de sa danse insaisissable » (p 50). Ainsi la quête d’unité, le questionnement et la fulgurance d’un Amour encore mystérieux fouissent dans les mots, trouvent dans les métaphores un mystère en écho, une flamme existe dans ce souffle, un feu frais prend d’assaut la terre et le bleu confondus du Ciel. Seul cet horizon sans fin offre au poète la jouissance de traverser sa propre langue, sa propre réalité comme un paysage rêvé, où l’indicible glisse autant dans le tracé d’une initiation qu’au plus profond de l’Etre, « au creux des âmes apatrides qui savent n’être point d’ici, ni d’ailleurs, et encore moins de maintenant ». (p 51)
      L’écriture ample et saillante suit en effet, de bout en bout, un chemin diffusant la même exacte clarté malgré le passage des ombres, la voix roule les lettres pour dire les mystères d’une âme qui s’élance vers un monde que l’on aimerait habiter dans son entièreté, dans ses contradictions, ses possibles et ses impossibles puisque les images nous parviennent comme les premières images de la lanterne magique, celle d’une éternelle naissance. Le regard ouvert sur les chants d’ombres fissure l’imposture et laisse filtrer un esprit qui ne tremble plus d’affronter la nuit noire et d’y faire naître une étincelle de vérité : « Je dois renaître de ce battement imperturbable, maintenant. Regagner le temps perdu à chercher ce qui n’est plus, ce qui n’est pas. Me lever, me reconstruire dans le vide et dans l’urgence d’un désespoir libératoire : dans la reddition de mes illusions sur l’autre, sur moi, sur l’éternité ». (pp 25 /26). L’image ne peut donc plus se dissocier de l’expérience incandescente, c’est une pensée du témoignage que nous offre ce cheminement poétique, un «  lieu sans adresse où l’on chavire de l’ombre à la lumière les yeux clos, dans l’anéantissement de tous les réels apparents », (p 41), une véritable épiphanie, une révélation vibrant d’un humanisme lucide et poignant, une pensée qui se passionne pour un langage aussi foisonnant qu’authentique sans lequel il n’y aurait de véritable sagesse. Voilà pourquoi, cette ascension vers la présence du dehors de soi s’apparente à un dédoublement, une espèce de « non-lieu » au cœur duquel le poète se voit en reflet dans l’autre comme si la lumière du dedans et du dehors se répondaient l’une à l’autre. Il voit l’autre dans ce monde, l’autre en dehors du monde, et soi ainsi autre, dans ce monde autrement réel « Tout étant ici un ailleurs », le poète désormais « … ne cherche rien, rien de connu, rien de terrestre. Des corps célestes, des étoiles filantes, des souffles migratoires qui traversent la nuit sans laisser de traces. [Il] ne cherche rien ». (p 29)
      En somme, l’appel de cet Absolu prend vie dans le recommencement, ainsi un à un chaque geste du jour s’entend comme une mélodie pour finir en une véritable symphonie au cœur de laquelle grandit le regard et s’étend le mystère ; et l’on vibre aux sonorités ce cette main d’encre, de cette langue poignante, de ce regard d’où s’étend le sacré, de tout ce corps en métaphores éblouissantes qui résonne comme un instant possible de vérité. La poésie, chez Gabriel Arnou-Laujeac, convoque sensuellement et charnellement un corps sauvage, animal et glorieux, un corps de perception extraordinaire, en quoi il se distingue justement, tant mieux pour lui, de toutes les souffrances, de toutes les mélancolies, de tous les désespoirs, de toutes les visions noires, de tristesses, de dolorisme, il y a dans ce corps quelque chose d’indéfinissable, qui le distingue aussi de la seule quête du bonheur pour tendre vers un sens liturgique très aigu, quelque chose qui a la puissance d’un nouvel évangile, quelque chose où le langage change complètement de dimension, il y a en fait une éloquence mystique, un chant incantatoire, une apothéose musicale qui font de Plus loin qu’ailleurs une œuvre singulière et sans aucun doute unique. Aussi, l’esprit tendre et passionné du poète se concentre sur l’expressivité des sentiments et la musicalité du langage tentant, encore et toujours, de se parler à lui-même à travers la musique plutôt que de séduire un public aux attentes préconçues.
        On admirera ainsi dans nombre de ces pages l’écriture enthousiaste d’un écrivain libéré de toute convention, qui joint à un souffle indomptable, l’expression lyrique d’un Croyant en possession de sens. Dès lors le chant se mêle à la force du destin et de l’exil, à l’interrogation toujours renaissante d’une prose suspendue au-dessus du vide et de ses topoï, une langue associée malgré elle à la certitude plus contingente de savoir que le monde est le monde tel qu’il est et que jamais il ne sera comme on le désire, mais qu’il est toujours possible d’en effleurer les contours pour une fraction d’Amour vrai : « Ce qui demeure, c’est l’amour réinventé par-delà l’étouffoir du temps, la prison de l’espace, et les sept premiers ciels dont elle m’offre le huitième ». (p 41)
        Mais laissons là les observations pour revenir à l’esthétique du texte, pour ne retenir que la partition, l’écoute lyrique, l’exigence formelle, un Poème donc créé dans la fluidité lyrique  et la jouissance des images. Il est ainsi aisé de se laisser transporter dans ce corps céleste, il est aussi envoûtant de perdre consciemment notre chemin pour cause d’ivresse et il est enfin inconcevable de ne pas voir que, dans l’instant de lecture, le monde de Gabriel Arnou-Laujeac soit de toute beauté.
      SB
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Cercle 19/ Jabès

                                                                 Cercle 19

Des îles à la mer, un pas de plus, les eaux me sont déluge.....



Je suis à la recherche
 d’un homme que je ne connais pas,
 qui jamais ne fut tant moi-même
 que depuis que je le cherche.
 A-t-il mes yeux, mes mains
 et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps ?



Finis Terrae d'Epstein


 Saison des mille naufrages,
 la mer cesse d’être la mer
 devenue l’eau glacée des tombes.
 Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
 Une fillette chante à reculons
 et règne la nuit sur les arbres,
 bergère au milieu des moutons.
 Arrachez la soif au grain de sel
 qu’aucune boisson ne désaltère.
 Avec les pierres, un monde se ronge
 d’être, comme moi, de nulle part.

Edmond Jabès, Chanson de l'étranger
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http://www.franceculture.fr/oeuvre-edmond-jab%C3%A8s-de-didier-cahen.html
  1. Edmond Jabès, de Didier Cahen - France Culture

    www.franceculture.fr/oeuvre-edmond-jabès-de-didier-cahen.html
    Par ce livre inédit, les Editions Seghers font entrer l'une des figures majeures de la poésie du XXe siècle dans la collection «Poètes d'aujourd'hui». Edmond ...

dimanche 3 novembre 2013

Durrell


Richesse du monde insulaire.....


  C'est quelque part entre la Calabre et Corfou que le bleu commence pour de bon. La traversée de l'Italie ne vous propose que des paysages rigoureusement domestiqués, chaque vallée semblant composée selon les plans d'un architecte ami de l'ordre humain et de la lumière. Mais dès que l'on s'enfonce dans la plate désolation de la Calabre pour se diriger vers la mer, on ressent le changement qui s'opère au coeur même des choses : les bords de l'horizon
 prennent des teintes nouvelles, des îles sortent de l'ombre et viennent à votre rencontre.


Le Nouveau monde de Mallick


    La nuit, on entend parfois un berger jouer du pipeau pendant que son troupeau flâne en broutant parmi les buissons et les arbustes. Nous écoutons dans notre lit, en sentant sous nos mains nos peau rugueuses et satinées par le sel. Les rossignols laborieux et quelque peu lassants restent confondus par les doux quarts de ton liquide et les trémolos de la flûte.
C'est une forme sans mélodie et les notes tombent goutte à goutte dans le silence. C'est la voie enjôleuse des sirènes qu'entendit Ulysse.   

Lawrence Durrell,  L'île de Prospero 
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A lire et relire......